Le programme d’échange de seringues dans les pénitenciers sera élargi
OTTAWA — Malgré le ralentissement de la pandémie, Service correctionnel Canada prévoit toujours élargir le programme d’échange de seringues actuellement offert dans neuf pénitenciers, selon des responsables gouvernementaux.
Lors d’une présentation donnée à la Conférence internationale sur le sida à Montréal, en fin de semaine, Henry de Souza, directeur général des services cliniques et de la santé publique de l’agence, a déclaré qu’«un certain nombre d’établissements» avaient été identifiés pour une expansion, et que le programme continuera à être mis en œuvre à travers le pays.
Les détenus peuvent demander du matériel stérile pour la consommation de drogues dans deux pénitenciers canadiens depuis 2018, et sept autres ont été ajoutés en 2019. Certains militants ont exprimé des craintes que le programme, qui est conçu pour réduire le partage de seringues et la propagation des maladies infectieuses, puisse être annulé après que les données ont montré une faible fréquentation.
Des responsables ont indiqué à la conférence sur le sida vendredi soir que seulement 53 détenus utilisaient activement le programme à la mi-juin, sur les 277 détenus qui avaient été autorisés à participer au cours des quatre dernières années.
Ce programme s’ajoute au seul «service de prévention des surdoses» en milieu carcéral du pays, qui a été lancé en 2019 à l’établissement à sécurité moyenne pour hommes de Drumheller, en Alberta. Il s’agit essentiellement d’un site d’injection supervisée, proposant du matériel stérile et une consommation en observation.
Depuis l’ouverture du site supervisé, il y a eu 55 participants, 1591 visites et aucune surdose à cet établissement, ont déclaré des responsables lors de la conférence de Montréal. Le service correctionnel souligne qu’il offre également des conseils en santé mentale, l’accès à la naloxone pour contrer les effets d’une surdose d’opioïdes et des traitements préventifs, tels que la prophylaxie préexposition — un médicament pour prévenir le VIH.
Tous ces efforts ont entraîné une diminution des infections, a déclaré Marie-Pierre Gendron, épidémiologiste à Service correctionnel Canada. Elle a déclaré que l’infection au VIH parmi les détenus à l’échelle nationale est passée de 2,02 % de la population carcérale en 2007 à 0,93 % en 2020, alors que l’hépatite C a chuté de 21 % en 2010 à 3,2 % en 2021.
Résultats bénéfiques
Lynne Leonard, professeure agrégée à l’Université d’Ottawa, qui a été embauchée par l’agence pour évaluer les programmes, a déclaré mardi matin à la conférence de Montréal que les deux programmes avaient eu des «résultats bénéfiques importants» pour les détenus, et elle a vu «une éventuelle adoption institutionnelle réussie», malgré les réticences initiales du personnel.
Les résultats préliminaires de son étude ont révélé que le programme semblait entraîner une diminution significative des infections au VIH dans les établissements qui l’avaient mis en place. Par ailleurs, les surdoses à l’établissement Drumheller ont diminué de plus de 50 % depuis l’ouverture de son site d’injection supervisée.
«Je suis encouragée par le fait qu’ils décrivent le programme comme quelque chose dont ils sont fiers», a déclaré de son côté Sandra Ka Hon Chu, codirectrice générale du Réseau juridique VIH.
Mais un «drapeau rouge» majeur qui pourrait entraîner une baisse de la participation est le fait que le personnel de sécurité est impliqué dans le processus, a-t-elle déclaré. Ce n’est pas le cas dans les programmes d’échange de seringues des prisons d’autres pays, dont certains sont totalement anonymes ou proposent même des seringues dans des distributeurs automatiques.
«C’est vraiment une faille critique dans le programme», estime-t-elle.
Les détenus sont soumis à une évaluation de la menace par la sécurité de l’établissement et à l’approbation de la direction avant de pouvoir accéder aux programmes, selon une description du processus par des responsables. Les statistiques présentées lors de la conférence indiquent que près du quart des demandes de participation au programme ont été rejetées.
Réticences du personnel
Shawn Huish, directeur de l’établissement Mission, en Colombie-Britannique, a déclaré qu’il était difficile de changer l’état d’esprit des agents correctionnels, habitués à rechercher des drogues, à les confisquer et à essayer d’empêcher les détenus de les prendre — tout en promettant aux détenus que leur participation au programme n’affecterait pas leur libération éventuelle.
Il y a eu beaucoup de «fausses nouvelles» à combattre, a déclaré M. Huish, y compris un panneau affiché à l’extérieur de la prison qui dépeignait le programme sous un jour négatif.
«Notre plus grand objectif était de parler, d’éduquer, d’apaiser les craintes. Accepter la présence d’une seringue en prison peut être effrayant pour les gens, a-t-il souligné. Vous avez peur que des gens se fassent piquer par une seringue. Alors, nous avons regardé les dossiers. En deux ans et demi, nous avons eu un membre du personnel qui s’est fait piquer, et c’était pendant une fouille — et c’était une punaise de babillard.»
Leah Cook, directrice régionale de la santé publique pour les Prairies, a supervisé la mise en place du site d’injection supervisée à Drumheller. Elle a déclaré qu’il s’agissait «du seul service connu de ce type en milieu correctionnel sur la scène mondiale — et j’en suis incroyablement fière!».
Mme Cook a précisé qu’une «zone de sécurité» avait été créée afin que les participants au programme puissent transporter leur propre approvisionnement en médicaments jusqu’à la salle d’observation sans craindre d’être fouillés.
Bien qu’il ne soit pas clair si l’agence prévoit d’étendre le service de prévention des surdoses à d’autres établissements, la recherche de la professeure Leonard a révélé que les membres du personnel de Drumheller le préféraient au programme d’échange de seringues — ils le trouvaient plus sécuritaire et plus efficace.
Service correctionnel Canada n’a pas immédiatement répondu aux questions envoyées au cours de la fin de semaine.